« Si la boue et les intempéries gênent l’observation, en revanche la vision du bidonville l’été donne la clé d’un mode d’habiter encore rural dont la caractéristique est d’intégrer le dehors. Mais se hâter de conclure à un habitat rural serait une erreur. Comme le bidonville sans son ensemble délivre les messages d’un groupe, l’habitation proprement dite est le langage individuel de gens placés dans une situation biculturelle, de gens soumis au changement. L’habitation est l’expression topique de désirs contradictoires et d’un mode d’être en mutation, et, comme telle, aussi variée que les individus auxquels elle convient à un moment donné de leur histoire.
José, le frère de Jorge, relogé par son employeur dans un de ces logis ouvriers construits après la guerre en matériaux légers, nous présenta sa maison en ces termes : « Elle n’est pas formidable, mais il y a beaucoup de terrain. » Et derechef, avant d’entrer, il nous fit visiter son jardin et les dépendances qu’il y avait construites.[1]
Il résumait ainsi une conception de l’habiter toute paysanne, celle qui, autrefois, à cause de la présence des bêtes et des grains, consacrait peu de place à la maison réservée au gîte, la vie se passant aux champs, et qui dispersait à l’extérieur, dehors ou sous un « toit », une grande partie des activités domestiques.[2] Les dépendances contenant tout ce dont l’homme avait besoin pour se nourrir et travailler, celui-ci était habitué à passer continuellement du dedans au dehors, chaque fois qu’il voulait du vin, du bois ou un outil. » (p. 91)
Observations :
Cet ouvrage est la réédition de la thèse d’Etat de l’ethnologue, dont une première version tronquée parut en 1979. Le chapitre traitant des espaces (bidonvilles, cités et quartiers populaires), résumé alors en une vingtaine de pages, ne fut repris dans son intégralité que trois ans plus tard, en 1982. Ces deux publications distinctes de la même œuvre renvoient au contexte idéologique et politique français entre 1970 et 1980, avec l’émergence des théories du nouvel urbanisme et la volonté d’éradication de l’habitat insalubre. Les logements spontanés, traces honteuses d’un reste de pauvreté qu’on veut à tout prix résorber, sont alors systématiquement détruits. Or, Colette Pétonnet démontre que les bidonvilles peuvent être des lieux de vie dignes, dont la disparition, et le remplacement par un habitat normalisé, constituent pour leurs résidents une violence et une aliénation et renforcent encore davantage les processus de paupérisation et de marginalisation.
« Rédigé dans un style très direct et d’une lecture particulièrement attachante, ce livre rompt avec les modèles traditionnels de la sociologie ou plutôt, sans les ignorer, il les habille de faits cueillis au ras de la réalité la plus concrète. On est frappé par la profonde compréhension humaine dont Colette Pétonnet fait preuve et par la qualité de sa connaissance intime du milieu dans lequel, plusieurs années durant, elle a élaboré son ouvrage. […] L’état d’aliénation matérielle dans lequel sont tenus les habitants des cités de transit vis-à-vis des autorités administratives dispensatrices des différents types de logement a conduit Colette Pétonnet à dégager les qualités humaines de l’habitat en bidonville, ce qui laisse le lecteur un peu perplexe. Pourtant, sur un point important, l’auteur a raison : la libre construction de son habitation, son extension éventuelle, les contacts privilégiés avec les membres du groupe dont les liens de parenté ou d’amitié sont l’essentiel font à l’immigrant un environnement humain positif, qui l’oriente vers des formules de vie vivables. » (préface d’André Leroi-Gourhan, p .15-16)
A lire également l’interview de Colette Pétonnet par Thierry Paquot, réalisée il y a dix ans (1995) : www.univ-paris12.fr/iup/8/urbanism/881/petonnet.htm.