Dès mon arrivée à l’usine, j’ai sombré dans un naufrage collectif. Je me suis noyé dans l’alcool ! Cette drogue douce est une arme redoutable pour anéantir à petit feu la sève de la vie qui à l’intérieur de chacun de nous alimente la fleur fragile de notre personnalité.
Mais par ailleurs, le vin était aussi la meilleure clé pour pénétrer dans cette communauté formée par le groupe d’ouvriers de l’atelier où j’ai atterri. Avant sa résignation définitive, il y a toute une longue préparation durant laquelle le vin est un médicament, un baume précieux pour assister l’individu dans l’acceptation du deuil qu’il doit faire de sa propre vie; pour l’aider à renoncer aux rêves et aux aspirations qui bercèrent son adolescence quant à son avenir, où quant à l’aventure de son existence.
Lui faire oublier l’alternative de quitter cet univers qui s’est refermé sur lui et où l’ombre de la mort se profile déjà dans la répétition inlassable des gestes de son quotidien définitivement figé. Lui faire oublier l’alternative de vaincre la peur de l’insécurité sociale que s’est cristallisée en lui comme résultat de tant d’années, que dis-je, tant de siècles d’oppression et de misère que l’histoire a inculqué au plus profond de l’inconscient collectif de sa classe et de renoncer à cette fausse illusion sécuritaire qui lui offre la société industrielle.
Mais ces chaînes invisibles sont plus puissantes, plus efficaces que toutes les polices! Sa révolte sera progressivement noyée dans ce rituel au vin rouge que me fait songer à un autre: bois! « Ceci est mon sang ».
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Manuel Madeira