Le bruit intense des machines rendait difficile notre communication orale et il était devenu naturel que dans l’usine les gestes remplacent la parole. Parfois j’avais la vive impression d’être tombé dans un univers de sourds-muets.
Marcel, avait aussi compris que j’étais étranger et que je ne parlais pas sa langue. Pourtant il manifestait une réelle volonté de communiquer avec moi et multipliait les signes en ma direction de telle sorte que nous avions bientôt créé un grand nombre de figures codées qui nous autorisaient un bon niveau d’échanges. Mais quand il s’approcha pour me parler, en élevant la voix pour surmonter le vacarme apocalyptique des machines, je n’ai pas pu lui répondre car je ne comprenais pas ce qu’il souhaitait me dire.
A ce moment là, j’ai perçu l’autre mur qui nous séparait. Je l’ai cru très déçu car il ne pouvait sûrement s’empêcher de songer à l’impasse dans lequel débouchait notre amitié naissante. Cela a suffit, d’ailleurs, à ce que, instinctivement, je me retire dans mon espace intérieur.
Ma perception de la réalité fut considérablement affectée par ce handicap. Ne plus comprendre ce qui se disait autour de moi fut vécu comme une infirmité et le monde vu de cet enfermement-là était devenu absurde. Alors que le langage perdait toute signification, les bruits, eux, libérés du sens prirent une grande acuité et atteignaient mon corps comme une énergie pure qui me rendait facilement irritable.
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Manuel Madeira