Waldemar Monteiro – Les émigrés portugais parlent. Vies et témoignages, Paris, Casterman, 1974

La rixe 

« Nanterre : 7.000 Portugais, dit le Secours Catholique. 15.000, rectifia le commissariat de police. Qui a raison, qui a tort ?

[…] Un grand nombre d’immigrés vit effectivement dans la clandestinité, échappant pour un temps plus ou moins long au contrôle de la police.

Nanterre, vaste agglomération d’immigrés de toutes origines, surtout Algériens et Portugais, se trouve dans la banlieue parisienne, au nord, juste après la Porte de Neuilly. Les immeubles y poussent partout. Les hommes et les machines ont dû harmoniser leur cadence avec le rythme infernal de la croissance, de la construction, de l’extraordinaire besoin de logements pour les Français et pour deux millions de travailleurs immigrés.

 » Le gouvernement français entend devoir se pencher sur les problèmes des travailleurs immigrés, surtout en ce qui concerne la construction de logements, mais les crédits débloqués à cette fin ne dépassent pas quarante nouveaux francs par travailleur immigré. Que peut-on faire avec des crédits tellement réduits ?  » (M. Talamoni, maire de Champigny).

Nanterre, c’est petit. Mais, en bordure de la ville, sur une sorte de plateau, s’étend un quartier très populeux, dont l’accès est (plus ou moins) assuré par une vieille route boueuse. Sur cette route se trouve un réservoir d’eau, muni d’un énorme robinet. Presque en face du réservoir, une baraque, construite avec des planches irrégulières en bois de toutes sortes et couverte d’un toit en zinc, qui fait penser à une petite boutique mexicaine. On y vend du vin, de la bière, ainsi que quelques produits alimentaires de première nécessité. Tous les jours, le soir, après le travail, pendant que de nombreux immigrés font la queue devant le réservoir, d’autres, non moins nombreux, s’entassent à l’intérieur de la boutique.

D’une légère élévation du terrain, située juste à côté de la baraque, on peut suivre du regard le prolongement de la route et découvrir ainsi un paysage impressionnant, tragique : quatre ou cinq kilomètres carrés de boue, de ronces, d’ordures et de baraques, des baraques de trois mètres sur trois, habitées presque exclusivement par des travailleurs immigrés : c’est le bidonville de Nanterre, le plus proche de Paris, juste aux portes de la capitale française. Un bidonville célèbre par le spectacle bouleversant qu’il offre à nos yeux, par le tableau terrible de misère qu’il représente et qui n’est pas sans évoquer un poème d’Agostinho Neto, poète noir angolais :

 

Des tôles fixées à des pieux

fichés en terre

forment la maison

 

Des haillons complètent

le paysage intime

Le soleil traverse les crevasses

et réveille l’habitant

 

Ensuite, douze heures de travail

esclave…

Et, dans cet amas de tôles, de boue et d’ordures, dans ce foyer infectieux, peuplé de rats et de mouches, dans ce jardin infernal, vivent des hommes, des femmes, des enfants ! […]

Deux différences, par rapport au poème : au lieu du soleil, c’est le froid, la neige et la pluie qui traversent, le plus souvent, les murs crevassés des baraques ; et ce ne sont pas douze mais plutôt quinze ou seize heures de travail d’esclave par jour !

Tel est Nanterre : une aberration du monde civilisé, une tache noire dans le paysage dur mais clair des constructions modernes, que l’on voit apparaître un peu plus loin. Un vrai marécage : l’eau de la pluie s’accumule, faute d’égouts, formant des lacs de boue. Les gens n’ont même pas le temps de voir où ils habitent : ils partent travailler de grand matin à cinq, six, sept heures au plus tard. Quand ils rentrent, le soir, il fait déjà noir ; et il faut encore aller chercher de l’eau, acheter de quoi manger, faire la cuisine… Et se coucher toute de suite après le dîner.… » (p.73-76)

Observations : La version originale du livre a été publiée sous le titre « As histórias dramáticas da emigração », Lisbonne, Prelo, 1969.

Heiny Widmer – Jürg Kreienbühl, Bâle, Editions Galerie „zem Specht“, 1982

La cour des miracles 

« Ici, j’ai vécu durant quatre ans. Un grand terrain privé, alimenté par un seul robinet d’eau, était loué en parcelles avec l’électricité pour les personnes qui la désiraient. Le patron, surnommé, ‘l’Auvergnat’, faisait la loi. Il était avare. Tous les jours, il contrôlait son compteur électrique ; si la roue marquant la consommation tournait trop vite (à son avis !), il coupait un à un, et sans prévenir, les fils électriques qui alimentaient nos misérables baraques. A nous de les rafistoler… cela se produisait tous les mois, surtout en hiver ! Combien de fois, le soir, nous mangions à la lumière d’une bougie. Une société cosmopolite s’était constituée dans cette sorte de grande cour où étaient entassés : Gitans, Algériens, Portugais, Polonais, Français, chiens, chats et rats. J’ai peint ce tableau à travers la fenêtre de mon autobus hors d’usage, qui me servait d’appartement et d’atelier. » (p. 100)

Le bidonville enneigé

 « L’hiver était dur et froid. Les points d’eau étaient gelés. Un seul robinet, entouré de paille, fonctionnait encore. Pour y parvenir, ils devaient emprunter un chemin long et glissant qui s’avérait très dangereux lors du retour avec des sceaux en plastique remplis d’eau. Péniblement, de mes doigts raides, je maniais mon crayon pour faire des esquisses. A cette époque, je peignais uniquement d’après croquis. Dans les baraquements misérables, les poêles rouillés ronflaient, débordant de boulets de la plus médiocre qualité, et pendant la journée, une fumée jaunâtre planait au dessus des taudis. De temps en temps, un Algérien qui passait me regardait avec méfiance. » (p. 103)

Observations : 

Arrivé à Paris en 1955 et ne se reconnaissant pas dans la peinture de l’Ecole de Paris (Manessier, Bissière, Soulages, Poliakoff, Vieira da Silva), c’est en pleine banlieue que le peintre bâlois Jürg Kreienbühl trouve matière à peindre. Colombes, Argenteuil, Sartrouville, Gennevilliers, Bezons, Carrières-sur-Seine et Nanterre – Kreienbühl peint là où se trouvent les bidonvilles qui entourent la capitale. Partageant le mode de vie de leurs habitants (le peintre habitera les bidonvilles de Bezons et de Carrières-sur-Seine), Kreienbühl peint les situations extrêmes de l’existence humaine. Prostituées, maquereaux, petits voleurs, cambrioleurs, gitans, étrangers sans portefeuille deviennent ses modèles, et ses amis. Jamais positionné en juge, Jürg Kreienbühl peint ce qu’il voit. Et ce qu’il voit, c’est la vie la plus élémentaire, loin de tout artifice. Avec Kreienbühl, les laissés pour compte de la ville retrouvent leur dignité. Un droit à la parole, à l’existence. La peinture de Jürg Kreienbühl opère comme le film de Dominique Dante ou comme la photographie de Cartier-Bresson et de Gérald Bloncourt : chacune de ses peintures est une histoire en soi. Et comme chaque tableau qu’il peint l’empêche d’en commencer un autre, sa peinture est évidemment aux antipodes des dizaines de clichés pris par les photographes de presse qui, au cours des années 60/70, dénoncent l’existence des bidonvilles aux portes de la capitale comme un fait-divers honteux, mais sans vraiment se préoccuper d’aller à la rencontre des habitants.

Depuis les longues années passées dans les bidonvilles de la région parisienne, Jürg Kreienbühl n’a jamais cessé de côtoyer les Portugais, qu’il connaît bien. Lors de l’importante exposition que lui consacra le Centre Culturel Suisse à Paris, en 2001, le peintre rappela qu’au moment de la destruction du bidonville de Carrières-sur-Seine (1977), majoritairement habité par des Portugais, il était intervenu à plusieurs reprises auprès des autorités françaises pour leur demander de laisser le bidonville aux Portugais, ‘qui en auraient fait un vrai village, comme ils savent le faire’, au lieu de les envoyer dans les cités de transit. Une demande forte d’autogestion à contre-courant de toute la politique d’Etat

Monique Hervo – Chroniques du bidonville. Nanterre en guerre d’Algérie (préface de François Maspéro), Paris, Seuil, 2001

« Poste de police de Nanterre. Pour faire tamponner les formulaires administratifs, les Portugais de la Folie sont contraints de verser de l’argent aux agents. J’ai vu ces hommes tenir à la main leurs papiers officiels au milieu desquels étaient glissés, au su et au vu de tout le monde, des billets de banque. Interrogés, ils ont avoué que s’ils ne plaçaient pas plusieurs billets entre les feuillets de leur passeport, les agent de Nanterre les leurs réclamaient avec rudesse :  » Quoi, t’as pas compris ? Donne les sous ! » »Alors nous avons pris l’habitude », expliquent-ils. Aujourd’hui pour certifier les papiers d’un Arabe que je lui tends, l’agent exige le ‘pourboire’. Jacqueline, une Française de la localité, m’a affirmé que dans la queue où elle s’était trouvée, à ce même poste de police, le brigadier avait réclamé 50 francs au Portugais qui la précédait » – 18 mars 1960 (p.75-76)

« A l’une des extrémités de la Folie, la cabane d’un jeune couple, avec deux bambins, s’est enflammée. Il ne reste plus une planche debout. Tout est calciné. La police interdit la reconstruction. Pourtant l’incendie est consécutif au rasage des baraques portugaises et de quelques échoppes arabes, opéré par les services de la préfecture. A la fin de ce genre d’opération, les fonctionnaires font mettre le feu aux matériaux amoncelés par les bulldozers. Refus des pouvoirs publics de reconnaître la propagation accidentelle du brasier… » – 26 novembre 1960  (p.93-94)

« A l’aube, soudain de longues flammes rougeoyantes s’élèvent au-dessus des baraques de la Folie collées les unes aux autres. Dans un vieux bistrot à la devanture délavée de la rue de Courbevoie, des consommateurs sirotent leur ballon de rouge. Sourire aux lèvres. Visages impassibles. Ils contemplent les cabanes qui crament. Et dans un concert d’approbation générale, j’entends ces ouvriers interpeller la tenancière qui se précipite sur son téléphone pour alerter les pompiers :

 » Vous pressez pas. Il n’y a qu’à laisser brûler, ça en fera quelques douzaines de moins… », et :

 » Qu’ils grillent dans leurs cabanes! C’est comme des rats. » Ces Français, sans aucun doute bons pères, savent que les bicoques sont habitées par des femmes, des enfants. Devant eux, chaque jour, ils voient passer les gamins qui vont chercher l’eau à la borne-fontaine, rue de Chevreul. Ces gros rires de satisfaction sont terrifiants. Ils vous glacent d’horreur. Vos laissent impuissant devant tant de haine. » – 2 novembre 1960 (p. 88-89)

 

 

Alfredo Margarido – Elogio do ‘bidonville’, in Latitudes, n°5, Avril/Mai 1999, p.14-20Alfredo Margarido – Elogio do ‘bidonville’, in Latitudes, n°5, Avril/Mai 1999, p.14-20

« Não sabemos ainda onde será mais alegre : se aqui nas barracas a beber uns copinhos e com umas cantaroladas toda a noite, se naqueles alojamentos bonitos a falar baixinho para não incomodar os franceses. » (Fala recolhida por Adelino Gouveia, in Diário de Notícias, dez. 1970 ; página redigida por emigrantes portugueses em França) (p.18)

« […] Uma parte dos emigrantes carrega consigo as condições culturais do campo português, que não só não possui nem tradição nem cultura urbanas, mas nem sequer conhece muito bem as diferentes funções do Estado. […] (Regista-se) durante a primeira fase da vida em França e particularmente em Paris, a necessidade de uma forte coesão, única maneira de assegurar a transferência de uma sociedade eminentemente rural, para uma metrópole urbana como sempre foi uma cidade como Paris. O génio português não reside na exaltação da saudade, como ainda se pretende, mas antes na capacidade de adaptação a condições sociais e a tarefas técnicas que não pertenciam ao sistema dos valores rurais portugueses.

É nestas condições que podemos registar a intervenção, quando não a invenção do ‘bidonville’. […] sistema de urbanização da colectividade : o grupo assegura desta maneira a sua autonomia, face à sociedade dominante, que os sociólogos teimam em designar como sendo ‘la société d’accueil’, a sociedade de acolhimento, quando na verdade, e quase sempre, se trata da sociedade que repele ou rejeita. Compreende-se por isso que o gueto, de que o bidonville é uma expressão moderna, possa surgir como solução adoptada pelos emigrantes, perante as condições que lhes são oferecidas pela sociedade onde sobretudo pretendem trabalhar. » (p.15-16)

Traduction : “Nous ne savons pas encore ce qui est plus gai : si c’est ici, dans les baraques, en buvant des coups et en chantonnant toute la nuit, si c’est dans ces beaux logements, où il faut parler tout bas pour ne pas déranger les Français. » (Dires recueillis par Adelino Gouveia, in Diário de Notícias, déc. 1970; page rédigée par des immigrants portugais en France)

[…] Une partie des émigrants transporte avec eux la culture rurale portugaise ; non seulement ils ne possèdent pas de tradition ni de culture urbaine, mais ils ne connaissent pas vraiment les différentes fonctions de l’Etat. […] (On enregistre) durant la première phase de leur vie en France et particulièrement à Paris, le besoin d’une cohésion forte comme seul moyen d’assurer le passage d’une société éminemment rurale vers une métropole urbaine comme Paris. Le génie portugais ne réside pas dans ‘l’exaltation de la saudade’, comme on continue de prétendre, mais plutôt dans la capacité d’adaptation à des conditions sociales et à des tâches techniques qui n’appartenaient pas à l’univers rural portugais.

C’est dans ces conditions qu’on enregistre l’intervention, sinon même l’invention du bidonville. […] système d’urbanisation de la collectivité: de cette manière, le groupe garantit son autonomie face à la société dominante que les sociologues persistent à désigner comme étant la « société d’accueil », alors qu’en vérité il s’agit, presque toujours, de la société qui repousse ou qui rejette. On comprend ainsi que le ghetto, dont le bidonville est une expression moderne, puisse surgir comme solution adoptée par les émigrants face aux conditions qui leur sont offertes par la société où ils prétendent surtout travailler. » (p.15-16)

Observations:

Alfredo Margarido fait partie de ces intellectuels portugais qui, pour des raisons politiques, ont longtemps vécu à l’étranger. Auteur d’une œuvre multi facettes et à contre-courant, Alfredo Margarido est avant tout un libre penseur concerné par les problèmes de société et leurs questions affines, ethnologiques, anthropologiques, culturelles. Le numéro que lui consacre la revue Latitudes (n° 24, septembre 2005) permet de découvrir l’étendue des domaines explorés par l’auteur. Durant son exil à Paris, où il arriva en 1964, Alfredo Margarido fut un des rares intellectuels portugais à prendre position par rapport à l’impressionnant flux migratoire qui allait caractériser les années 60. Mais il fut, surtout, un des rares à ne pas porter un jugement sur ses compatriotes qui vinrent aider à peupler les quelques 170 bidonvilles existant alors aux alentours de Paris. Tout en portant un regard critique sur les politiques portugaise et française à l’origine de cet exode et des conditions dans lesquelles il se déroulait, A. Margarido chercha, par ailleurs, à comprendre ce qui pouvait pousser les Portugais à résister au démantèlement des bidonvilles lorsque les autorités décidèrent leur résorption (lois Debré, 1964, et Nungesser, 1966).

A propos de la résorption des bidonvilles et des luttes menées par les habitants, voir le film « Lorette et les autres », tourné par Dominique Dante en 1973 (fiche disponible dans l’espace cinémathèque).

« Não sabemos ainda onde será mais alegre : se aqui nas barracas a beber uns copinhos e com umas cantaroladas toda a noite, se naqueles alojamentos bonitos a falar baixinho para não incomodar os franceses. » (Fala recolhida por Adelino Gouveia, in Diário de Notícias, dez. 1970 ; página redigida por emigrantes portugueses em França) (p.18)

« […] Uma parte dos emigrantes carrega consigo as condições culturais do campo português, que não só não possui nem tradição nem cultura urbanas, mas nem sequer conhece muito bem as diferentes funções do Estado. […] (Regista-se) durante a primeira fase da vida em França e particularmente em Paris, a necessidade de uma forte coesão, única maneira de assegurar a transferência de uma sociedade eminentemente rural, para uma metrópole urbana como sempre foi uma cidade como Paris. O génio português não reside na exaltação da saudade, como ainda se pretende, mas antes na capacidade de adaptação a condições sociais e a tarefas técnicas que não pertenciam ao sistema dos valores rurais portugueses.

É nestas condições que podemos registar a intervenção, quando não a invenção do ‘bidonville’. […] sistema de urbanização da colectividade : o grupo assegura desta maneira a sua autonomia, face à sociedade dominante, que os sociólogos teimam em designar como sendo ‘la société d’accueil’, a sociedade de acolhimento, quando na verdade, e quase sempre, se trata da sociedade que repele ou rejeita. Compreende-se por isso que o gueto, de que o bidonville é uma expressão moderna, possa surgir como solução adoptada pelos emigrantes, perante as condições que lhes são oferecidas pela sociedade onde sobretudo pretendem trabalhar. » (p.15-16)

 

Colette Pétonnet – On est tous dans le brouillard, Paris, C.T.H.S., 2002

« Si la boue et les intempéries gênent l’observation, en revanche la vision du bidonville l’été donne la clé d’un mode d’habiter encore rural dont la caractéristique est d’intégrer le dehors. Mais se hâter de conclure à un habitat rural serait une erreur. Comme le bidonville sans son ensemble délivre les messages d’un groupe, l’habitation proprement dite est le langage individuel de gens placés dans une situation biculturelle, de gens soumis au changement. L’habitation est l’expression topique de désirs contradictoires et d’un mode d’être en mutation, et, comme telle, aussi variée que les individus auxquels elle convient à un moment donné de leur histoire.

José, le frère de Jorge, relogé par son employeur dans un de ces logis ouvriers construits après la guerre en matériaux légers, nous présenta sa maison en ces termes : « Elle n’est pas formidable, mais il y a beaucoup de terrain. » Et derechef, avant d’entrer, il nous fit visiter son jardin et les dépendances qu’il y avait construites.[1]

Il résumait ainsi une conception de l’habiter toute paysanne, celle qui, autrefois, à cause de la présence des bêtes et des grains, consacrait peu de place à la maison réservée au gîte, la vie se passant aux champs, et qui dispersait à l’extérieur, dehors ou sous un « toit », une grande partie des activités domestiques.[2] Les dépendances contenant tout ce dont l’homme avait besoin pour se nourrir et travailler, celui-ci était habitué à passer continuellement du dedans au dehors, chaque fois qu’il voulait du vin, du bois ou un outil. » (p. 91)

Observations :

Cet ouvrage est la réédition de la thèse d’Etat de l’ethnologue, dont une première version tronquée parut en 1979. Le chapitre traitant des espaces (bidonvilles, cités et quartiers populaires), résumé alors en une vingtaine de pages, ne fut repris dans son intégralité que trois ans plus tard, en 1982. Ces deux publications distinctes de la même œuvre renvoient au contexte idéologique et politique français entre 1970 et 1980, avec l’émergence des théories du nouvel urbanisme et la volonté d’éradication de l’habitat insalubre. Les logements spontanés, traces honteuses d’un reste de pauvreté qu’on veut à tout prix résorber, sont alors systématiquement détruits. Or, Colette Pétonnet démontre que les bidonvilles peuvent être des lieux de vie dignes, dont la disparition, et le remplacement par un habitat normalisé, constituent pour leurs résidents une violence et une aliénation et renforcent encore davantage les processus de paupérisation et de marginalisation.

« Rédigé dans un style très direct et d’une lecture particulièrement attachante, ce livre rompt avec les modèles traditionnels de la sociologie ou plutôt, sans les ignorer, il les habille de faits cueillis au ras de la réalité la plus concrète. On est frappé par la profonde compréhension humaine dont Colette Pétonnet fait preuve et par la qualité de sa connaissance intime du milieu dans lequel, plusieurs années durant, elle a élaboré son ouvrage. […] L’état d’aliénation matérielle dans lequel sont tenus les habitants des cités de transit vis-à-vis des autorités administratives dispensatrices des différents types de logement a conduit Colette Pétonnet à dégager les qualités humaines de l’habitat en bidonville, ce qui laisse le lecteur un peu perplexe. Pourtant, sur un point important, l’auteur a raison : la libre construction de son habitation, son extension éventuelle, les contacts privilégiés avec les membres du groupe dont les liens de parenté ou d’amitié sont l’essentiel font à l’immigrant un environnement humain positif, qui l’oriente vers des formules de vie vivables. » (préface d’André Leroi-Gourhan, p .15-16)

A lire également l’interview de Colette Pétonnet par Thierry Paquot, réalisée il y a dix ans (1995) : www.univ-paris12.fr/iup/8/urbanism/881/petonnet.htm.


[1] Le potager

[2] La fermière, par exemple, lavait le linge dans le “toit” où l’on cuisinait la pâtée des cochons. Elle plumait un poulet sous le hangar.